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Bill Drummond qui était un rêve des Offlinepeople

Les automitrailleuses de la K Fondation, 1994

ETRE UN ARTISTE CÉLÈBRE EST UNE CHOSE TRÈS FACILE : TOUT CE QUE VOUS AVEZ À FAIRE, C’EST RÉALISER DES OEUVRES SUR LA CÉLÉBRITÉ, LA VIOLENCE, LE SEXE ET LA MORT. C’EST UN CLICHÉ DE LE DIRE, MAIS C’EST NÉANMOINS VRAI - LES MÉDIAS NE SE LASSERONT JAMAIS DE PARLER DES OEUVRES ABORDANT CES SUJETS

Sur le chemin du retour, enfin délestés de leur fétiche malicieux, Bill et Jimmy se lancent alors un nouveau défi. Basé sur le constat que l’art contemporain n’est pas assez audacieux, ils décident d’utiliser le capital restant généré par les immenses revenus de KLF pour créer leur propre fondation artistique : la K Foundation. Sa devise sera : “Divide and Kreate - Diviser & Kréer”.

En deux ans d’existence, de début 1993 à novembre 1995, la K Foundation créera trois oeuvres majeures en forme de paradoxe : une récompense infamante, un hymne inaudible, et une destruction séminale ; trois formes de “Stratégie du scandale”, trois formes de “Terrorisme poétique” ?

Remaniement majeur en cours. Instructions à venir

Pour sa première création, la K Foundation décide de questionner l’art contemporain par les espaces publicitaires : début 1993, toute une série de publicités format pleine page paraissent dans les grands quotidiens anglais. Écrits avec la typographie caractéristique de KLF - en majuscules blanches sur fond noir - on peut y lire : "Abandon All Art Now, - Abandonnez toute forme d’art, maintenant" suivi de "Major rethink in progress. Await further announcements. - Remaniement majeur en cours. Instructions à venir" et “"Let The People Choose - laissez les gens choisir".

Après cette première série de parutions, une autre annonce proclame que l’hymne de la K Foundation a maintenant été créé. “K Sera Sera (War is Over)" est un medley du “Que Sera Sera” de Doris Day enregistré par le choeur de l’Armée Rouge et du “Happy Christmas (War Is Over)” de John & Yoko - mais seconde oeuvre paradoxale de la K Foundation, cet hymne universel devra rester inaudible tant que la paix mondiale ne sera pas effective.

Puis, quelque temps plus tard, une autre annonce de la K Foundation est publiée :

Il a été porté à notre connaissance que vous n’avez pas abandonné tout forme d'Art. Une action directe est dès à présent nécessaire. La K Foundation donnera £40,000 à l'artiste qui a produit la pire oeuvre d'art de ces douze derniers mois

En complément de l’annonce précédente, Drummond & Cauty achètent une série de spots TV sur Channel 4 destinés à être diffusé pendant la retransmission du Turner Prize et travaillent aux préparatif de la soirée de remise des prix de ce qu’ils nomment le “Mutha Of All Awards - la mère de tous les prix”

Pirater les émissions de TV et y programmer quelques minutes de chaos incendiaire constituerait un exploit dans le domaine du terrorisme poétique (1)

Le 23 novembre 1993 à 19h30, alors que la soirée du Turner Prize vient de commencer à la Tate Britain, un panel de journalistes et de personnalités du monde de la musique - incluant entre autre Tony Wilson, journaliste TV et patron de Factory records - se rassemblent dans un hôtel de l'ouest de Londres.

En tout vingt cinq personnes à qui sont remis un gilet, un casque de sécurité orange frappés de la lettre “ K ” et une enveloppe cachetée contenant £1,650.

20h. Un cortège de limousines blanches mené par une limousine dorée s'arrête devant l'hôtel. Les représentant de la K Foundation pressent les invités de monter à bord et le convoi se met en route vers le sud, le mini bar de chaque limousine abondamment garni de champagne de première qualité.

21h. Diffusion du premier spot de la K Foundation. Visuellement, les spots TV présentent tous le même aspect : une série de courtes phrases rédigés dans une large typo majuscule orange sur fond noir, reprenant le style graphique et rédactionnel des communiqués de presse de KLF.

Lors de la première pause pub de la retransmission du Tuner Prize, la K Foundation annonce :

Tenez vous prêts dans 30 minutes pour un événement qui va marquer l'histoire de l'art

Pirater les émissions de TV et y programmer quelques minutes de chaos incendiaire constituerait un exploit dans le domaine du terrorisme poétique (1)

Loin de Londres, les limousines arrivent maintenant à destination : un champ en pleine campagne. Les invités sortent des voitures et sont accueillis par les représentants de la K Foundation. Au milieu de lumières aveuglantes les invités distinguent clairement deux blindés oranges avec la lettre “ K ” peinte en noir sur leurs portes. Des hauts parleurs diffusent à plein volume le “Money, Money, Money” d'ABBA, en alternance avec le “K sera sera” de Doris Day.

En retrait du terrain d’opération de la K Foundation, deux gardes du corps en costume noir, chemise blanche et noeud papillon assortis, surveillent un large tableau qui semble être constitué de billets de banques. L’ensemble doit mesurer approximativement 1,5 x 2 m. Il s’agit de “Nailed to the wall - Cloué au mur” une oeuvre de la K Foundation qui connaîtra bien des transformations : pour l’instant il s’agit de liasses de billets de banque traversées par de larges clous de charpentier. La crucifixion d’un million de livres sterling.

Jimmy Cauty clouant des liasses de billets pendant la performance du Turner Prize

21h15. Il est maintenant demandé à chaque invité de s’approcher d’un deuxième panneau de bois / tableau afin de clouer la liasse de £1,650 qu’il lui a été remise à son départ. Contrairement au premier tableau qui possède un cadre sobre et épuré, ce deuxième tableau est encadré de lourdes dorures rococo, et son fond est marqué de petites croix blanches espacées régulièrement afin de permettre de placer précisément chaque liasse constituant les £40,000 du prix de la K Foundation.

21h40. Deuxième coupure pub. Un autre encart apparaît à l'écran :

Attention, ce soir, dans un lieu tenu secret de Londres, la K Foundation marquera à jamais l'histoire de l'art. Instructions à venir.

Suivit d’un troisième spot TV :

Informations complémentaires. 40 personnes sont actuellement transportées vers une destination secrète près de Londres. A leur arrivée des instructions leur seront données par les représentant de la K Foundation.

Ils devront garder la tête baissée et s’empresser de rejoindre leurs positions, avec leurs équipements et effets personnels à portée de mains. Pendant 15 minutes, ils seront présent sur le site où l’histoire de l’art sera bouleversée, et devront utiliser au mieux le temps qui leur est imparti afin d’observer et de rendre compte.

Quiconque ayant besoin d’une assistance médicale ou financière doit en faire immédiatement part aux représentants de la K Foundation. Quand la sirène retentira, ils devront rejoindre rapidement et calmement le point de rendez-vous.

Il n’y aura pas de deuxième voyage.

21h45, à l’intérieur de la Tate Britain, Mrs Rachel Whiteread reçoit pour sa sculpture “House” le Turner Prize qui la consacre “meilleure artiste de l’année”.

A l’extérieur de Londres, en plein milieu d’un champ et des limousines blanches aux mini-bars copieusement garnis, la K Foundation tient également son vainqueur. Cette même soirée, Rachel Whiteread sera nommée, meilleure et pire artiste de l’année.

Les liasses de billets sont maintenant presque toutes clouées sur leur support : tout le monde est invité à remonter à bord des limousines, direction la Tate Britain et de nouveaux verres de champagne, afin de remettre l'infamant prix à Rachel Whiteread.